On aime bien la phrase titre de l'article, littéralement: "Celui qui se presse en Patagonie perd son temps". C'est en tout cas ce qu'on essaie de ne pas faire car on a la chance d'avoir un timing assez large pour profiter des à côté de la Carretera (la phrase a certes un côté un brin intéressé pour l'agence d'excursion dans laquelle nous l'avons lue mais qu'importe).


Nous quittons Puerto Rio Tranquilo mais pas le lago Carrerra que nous longeons une grande partie de l'étape. Le soleil étant au rendez-vous les couleurs azur et émeraude de l'eau ne sont pas sans rappeler celles de la Méditerranée.

Nous arrivons à Puerto Bertand, dans la ville haute, qui est déserte, plutôt glauque. Heureusement, il y a plus de vie dans la ville basse sur les bords du lago Bertrand. Nous avons du pain sur la planche le lendemain avec la descente en rafting d'une partie du Rio Baker et ses gentils rapides ! Notre prof nous propose de faire un exercice en faisant dessaler le bateau à la grande joie d'Anaïs ! L'eau qui serait aux environs de 6°C n'est pas si froide mais la douche chaude finale est la bienvenue ! Le soir sera le nouvel an avant l'heure, en effet, Karin et Abraham, deux chiliens voyageant en Amérique du Sud nous proposent de goûter au cordero (agneau). Après deux bonnes heures de cuisson en compagnie des oignons, tomates et de la coriandre (arrosé au vin et à la bière) sur une imposante plancha reposant au dessus des braises, le cordero est à point et vraiment délicieux !

Quelques hectomètres après Puerto Bertrand, nous laissons momentanément les bicyclettes en bord de route pour une marche jusqu'à la confluence du Rio Baker (le joli bleu sur lequel on a fait du rafting le jour précédent) et du Rio Neff (la rivière grise !), où les eaux de chacun s'entremêlent.

Nous arrivons à Cochrane, principale ville du Sud de la carretera avec ses quelques 3000 habitants. Nous passons le nouvel an dans le camping (où nous retrouvons deux autres cyclistes Sandra (française) et Enrique (espagnol) que nous avions rencontrés deux jours plutôt à Tranquilo) avec un repas partagé. Tout le monde met la main à la patte (hormis Alfredo l'argentin ou pique assiette du camping) et les crêpes d'Anaïs font fureur ! Bonne année, bonne santé, on connaît la musique ! Le premier est férié y compris pour les vélos et on aurait eu tord de se sauver car Patricia la patronne du camping régale tous les campeurs d'un asado de cordero (encore un !). Le papi gaucho en charge de la cuisson des agneaux nous raconte comment était la vie avant la création de la carretera et les trajets en chevaux de plus de 10 jours jusqu'à Coyhaique ! Le 2 Janvier n'est pas férié mais nous ne roulerons pas pour autant ou si mais seulement 4km pour rejoindre l'entrée de la réserve Tamango et faire la randonnée dont le point d'orgue est le mirador sur le lago Corchrane. Une nouvelle fois, nous ne parvenons pas à apercevoir le huemul (petit cerf du Sud Andin), qui se fait rare.



L'étape suivante est une étape de transition, une formalité sur le papier. C'est le cas jusqu'au repas. C'est après que ça se gâte : maillon de la chaîne d'Anaïs tordu, impossible d'avancer. Hugo et son dérive-chaîne étant incapable de réparer, nous devons rallier les 10 km nous séparant du camping en roue libre. Heureusement, c'est principalement de la descente mais le vent patagon et ses bourrasques s'en mêlent et nous obligent à mettre pied à terre en descente pour éviter la chute. Un couple de canadiens nous rattrape et nous prête leur dérive-chaîne qui s'avère plus efficace que le nôtre : nous remettons une attache rapide sur la chaîne et sommes repartis pour les 3 derniers kilomètres nous séparant du camping Araucaria. C'est un chemin dans une vallée magnifique avec des montagnes enneigées en toile de fond !

La route continue en direction du Sud avec de long km sans trouver âme qui vive, on a pris de quoi tenir 6 jours de vivres. On est même étonnés de trouver un bâtiment quasi neuf (de 2011 selon la pierre inaugurale) qui sert d'embarcadère pour le quai voisin sur le Rio Baker. L'endroit n'a pas l'air exploité, il est peu probable qu'un ferry de touristes débarque : on plante la tente à l'intérieur, c'est royal et le coucher de soleil non moins !


En route vers Caleta Tortel, ville dont les rues sont constituées de passerelles sur l'eau 8 km en tout et dont les précipitations annuelles sont très importantes (on en a bien profité !) A ville atypique, camping atypique : par chance le nôtre est situé sur la partie haute du village (l'arrivée sur Tortel se fait depuis le haut de la ville). Après 2 aller-retour pour convoyer nos bagages sur les 147 marches, nous installons la tente sur des plateformes en bois, pas de sardines ici (sauf dans la mer peut-être) mais un marteau et des clous pour fixer notre cabane. On choisit l'emplacement avec abri un peu plus onéreux car il parait qu'il peut très souvent à Caleta Tortel. Effectivement, après une heure de ballade, c'est la première saucée et ça ne va pas vraiment cesser jusqu'à notre départ le lendemain. La ville devient tout de suite moins accueillante et bien triste mais force est de reconnaître le travail qui a du être fourni pour réaliser tout ce linéaire de passerelles en bord de mer !

Au départ de Tortel, restent 150 km jusqu'à Villa O'Higgins ville terminus de la carretera austral. Reste aussi un bateau dont nous rejoignons l'embarcadère de Puerto Yungay à une quarantaine de kilomètres de Tortel et une des pentes les plus sévères rencontrée. On saute dans le bateau après avoir avalé un morceau de crumble et des sopapilla (sorte de pain frit qu' on peut apparenter à un tourtisseau ou merveille) . Le bateau rallie Rio Bravo mais pas de ville ici, seul le bâtiment du débarcadère qui sera notre refuge pour la nuit. 


Après avoir temporisé quelques minutes dans l'espoir que la pluie se calme mais sans succès, nous quittons notre refuge les mains armées de sac plastique pour tenter de garder les gants au sec (bricolage waterproof ou pas). L'étape est dure avec un relief prononcé, peut être la plus dure de la carretera combinée avec la météo. On rattrape les 3 demi-frères belges qui avaient fait la traversée avec nous le jour précédent. Après un dernier effort (seulement 46 km), nous arrivons à un refuge. Nous allumons le feu dans la cheminée (les précédents ont laissé un peu de bois pour amorcer le feu). La pluie ayant cessée, nous partons chercher du bois. On entend parler au loin sur la route, ce sont les belges, on les appelle in-extremis avant qu'ils ne dépassent le portail. Nous partageons le gite avec eux ce soir.

Alors que la survie s'organise en mode bûcherons, un chien vient à notre rencontre puis un deuxième, un troisième et d'un quatrième suivis d'un gaucho à cheval. C'est en fait le propriétaire qui nous passe un savon car la clôture est ouverte (elle l'était quand nous sommes arrivés) et qu'une de ses vaches est allée voir si l'herbe était plus verte ailleurs. Puis un deuxième savon (on en a bien besoin avec les micro-douches froides des jours précédents), car on a ramassé du bois dans un endroit où il ne fallait pas mais comment le deviner ? Peu importe, l'essentiel : on a pu rester dans le refuge bardé de messages des précédents cyclistes résidents. Nous bricolons un abri avec notre corde à linge et la toile de tente au dessus de la banquette du refuge. Deux australiens se joignent à nous pour le dîner, chacun y va de sa gorgée de pisco dans notre superflasque personnalisée (merci les amis !)

La dernière étape de la carretera se profile, pas de champagne mais en guise de réjouissance un parcours quasi plat, le beau temps et des paysages montagneux enneigés.

Nous arrivons secs et avec le sourire à Villa O'Higgins (3000 âmes) après environ 1400 kilomètres en terre chilienne mais ce n'est pas la fin du voyage. Nous faisons une petite randonnée au départ d'O'Higgins jusqu'au mirador del Valle. Là haut, petite causerie avec le gaucho de passage pour redescendre ses vaches et veaux au village. Il nous explique comment était la vie avant l'arrivée de la route en 2000 : les échangés et transits à cheval se faisant principalement avec l'Argentine. Chez les gens rencontrés en Patagonie Chilienne, aucune animosité envers le voisin Argentin comme on a pu l'entendre dans le nord Argentin.

On regagne le village en accompagnant le gaucho son troupeau et les aboyeurs très efficaces jusqu'à la ferme.

On retrouve dans la ville des supermarchés et de la variété dans les assiettes, en bon "always starving cyclists" on ne regarde pas la quantité au point d'impressionner un couple anglais du camping (pour rassurer les mamans, oui nous mangeons bien !).

Bientôt la fin du voyage à vélo mais il reste la traversée de la frontière pour rallier El Chalten en Argentine.

Au programme : une traversée mouvementée du lac O'Higgins à bord d'une ancienne frégate de l'armée puis un passage de 15 km sur un chemin de 4x4 raide et en très mauvais état sur les 6 premiers kilomètres. Ce chemin se transforme en randonnée passé la frontière : on pousse beaucoup le vélo pour traverser ruisseaux, grimper les pentes et franchir bourbiers et racines apparentes. C'est dur mais à deux c'est mieux !

Nous passons une fraîche première nuit Argentine à la gendarmerie, dans le pré d'à côté en vérité, au bord du lago Desierto . La vue au réveil est magnifique : le mont granitique Fitz Roy dégagé dans l'axe du lac ! 

Après une traversée du lago Desierto sur un bicoque, El Chalten à 38km, n'a jamais été aussi proche !